Appui aux agriculteurs et aux agricultrices d’exploitations familiales : De la « Tribune radiophonique agricole nationale » à Radios Rurales Internationales

On est lundi soir en cette fin du mois de novembre 1962, et un groupe d’environ 20 agriculteurs, notamment des femmes et des hommes, est rassemblé dans le salon d’une maison de ferme, à Halton County, en Ontario. Ces personnes ont bravé le froid pour venir écouter une émission de radio sur la politique laitière. Après l’émission de 30 minutes, le groupe se scindera en petits groupes de discussion. Le secrétaire ou la secrétaire du groupe enverra par courrier un résumé de leurs discussions au bureau ontarien de l’émission « Tribune radiophonique agricole nationale ».

Un habitué de cette émission de la CBC est George Atkins, un radiodiffuseur rural qui fondera par la suite Radios Rurales Internationales en 1979. Il est accompagné d’un groupe de spécialistes invités qui relaient les nouveaux conseils agricoles à travers le pays.

Soixante ans plus tard, un groupe de femmes se réunit de la même façon chaque mardi soir à Sare Samba Netty, au Sénégal, pour écouter et discuter d’émissions de radio sur l’égalité des genres, l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition. Leur groupe d’écoute communautaire écoute les émissions ensemble, discute de leurs contenus et envoie leurs avis et leurs questions à la station de radio au moyen d’un téléphone portable et du logiciel Uliza Interactive de Radios Rurales Internationales.

Semer des idées

Il y a un lien direct entre le premier groupe d’auditeurs et d’auditrices et le deuxième.

George Atkins a fondé Radios Rurales Internationales pour combler le besoin d’informations agricoles pertinentes des agriculteurs et des agricultrices d’exploitations agricoles. Les foras canadiens (ou groupes d’écoute comme Radios Rurales Internationales les appelle aujourd’hui) ont vu le jour dans les années 40 en réponse au besoin en ressources et en appui du monde paysan qui venait de vivre la Grande Dépression.

Quel meilleur moyen que la radio existe-t-il pour toucher le vaste territoire canadien avec les sujets et conseils agricoles d’actualité?

En savoir plus sur les origines de Radios Rurales Internationales : https://farmradio.org/fr/notre-histoire/

La diffusion de l’émission « Tribune radiophonique agricole nationale » a commencé en 1941 dans le cadre d’un partenariat entre trois organisations récemment créées, notamment l’Association canadienne pour l’éducation des adultes (ACÉA), la Fédération canadienne de l’agriculture (FCA) et la Société Radio-Canada (SRC). Cette émission hebdomadaire a duré de novembre à mars. Avant la diffusion du lundi nuit, les foras recevaient par la poste un guide contenant des questions de discussion comme « La guerre a-t-elle entraîné une pénurie de main-d’œuvre agricole dans votre communauté? La pénurie de main-d’œuvre agricole a-t-elle nui à la production? »

Les émissions traitaient de pratiques agricoles, d’économie agricole et d’autres sujets pertinents pour la société rurale canadienne, comme l’éducation, les soins de santé et le rôle de l’Église. Elles comportaient divers formats, y compris des discussions en groupe, des discours, des interviews et des feuilletons radiophoniques sur la Ferme Sunnybridge fictive.

« Lire, écouter, discuter, agir. »

– La devise de l’émission « Tribune radiophonique agricole nationale »

Outre la discussion animée sur les sujets agricoles, les rencontres hebdomadaires permettaient à des personnes voisines de socialiser grâce à des activités comme le chant et les jeux de cartes.

L’équipe de l’émission choisissait les sujets à diffuser sur la base d’éléments d’actualité et d’un questionnaire annuel envoyé aux foras. Aujourd’hui, Radios Rurales Internationales applique les mêmes principes en réalisant des sondages auprès des auditeurs et des auditrices concernant leurs besoins et leurs intérêts avant de concevoir des émissions radiophoniques.

Chaque émission de la « Tribune radiophonique agricole nationale » incluait un résumé de cinq minutes des discussions de la semaine précédente des foras de la province. Les points saillants des observations des agriculteurs et des agricultrices étaient parfois communiqués au ministre provincial de l’Agriculture ou de l’Éducation ou même aux ministres fédéraux. Aujourd’hui, Radios Rurales Internationales reste déterminé à partager les voix rurales aux décideurs par le biais de ses Dialogues à l’antenne.

Écoutez les épisodes de « Tribune radiophonique agricole nationale » extraits des archives de la CBC : https://www.cbc.ca/player/archives/cbc%20programs/radio/national%20farm%20radio%20forum

S’enraciner

Un forum réuni pour écouter la radio. © Library and Archives Canada | Bibliothèque et Archives Canada (Source)

Au plus fort de l’émission en 1949, plus de 1 600 foras furent enregistrés dans le pays avec plus de 21 000 membres. Les agriculteurs et les agricultrices membres des foras les avaient trouvés utiles et conviviaux.

« Nous qui écoutions l’émission de radio le lundi soir convenions qu’il s’agissait d’une heure et demie bien employée, et qu’elle fournissait des informations qui méritaient réflexion, » a déclaré Bruce Farm Forum, un groupe basé en Ontario.

Dans un questionnaire administré en 1958, 68,5 % des forums ayant répondu déclarèrent que l’émission « Tribune radiophonique agricole nationale » avait résolu certains de leurs problèmes, et 92,7 % affirmèrent que l’émission avait élargi leurs perspectives.

Depuis le début, l’émission « Tribune radiophonique agricole nationale » mit l’accent sur l’action. Sa devise était « Lire, écouter, discuter, agir. » Il semble que les agriculteurs et les agricultrices devaient s’entraider et ne pouvaient pas attendre que le gouvernement agisse. Le partage d’informations et les discussions n’étaient d’aucune importance si elles ne suscitaient aucune action concrète visant à améliorer les conditions de vie dans les communautés rurales.

Le travail des foras dépassa les limites de leurs fermes. Les milliers de projets d’action que les groupes entreprirent, et ce, de la construction de patinoires à la création de coopératives pour améliorer les terrains scolaires, constituent probablement l’héritage le plus tangible qu’ils laissèrent aux communautés du Canada.

Laisser une empreinte

Les besoins du monde paysan ont changé, de même que le meilleur moyen pour satisfaire leurs besoins. Après 1949, le nombre de groupes de réflexion commença à diminuer. Des changements s’opéraient au niveau de l’agriculture canadienne. En effet, les agriculteurs et les agricultrices d’exploitations familiales ne pouvaient pas concurrencer l’agriculture industrielle et la population rurale décroissait.

La diffusion de la « Tribune radiophonique agricole nationale » prit fin en 1965. Cependant, l’émission avait semé des idées qui continueraient à produire leurs effets au Canada et dans le monde entier.

Membres d’un groupe d’écoute communautaire pour un projet de Radios Rurales Internationales au Sénégal.

En 1947, Leonard Harman, membre de l’équipe de réalisation de l’émission « Tribune radiophonique agricole nationale » et responsable du mouvement coopératif ontarien, déclara ceci à propos de l’impact de l’émission : « J’aimerais dire à nouveau que Farm Forum est un projet exceptionnel dans l’histoire mondiale de l’éducation des adultes et des organisations paysannes… Je crois qu’elle a considérablement contribué à l’unité nationale, la pensée agricole, la compréhension urbaine du monde agricole et de ses problèmes, au développement du leadership rural, au développement des organisations paysannes, au développement des coopératives et d’autres actions communautaires, au moulage de l’opinion publique et à l’influence des politiques gouvernementales. »

En 1952, l’UNESCO demanda une étude sur les Forums des radios rurales. L’agence des Nations Unies publia un rapport en 1954 et réalise des projets similaires en France, au Ghana et en Inde.

Bien évidemment, l’héritage des foras se perpétue aujourd’hui avec Radios Rurales Internationales. Depuis sa fondation en 1979, Radios Rurales Internationales travaille avec les stations de radio et les groupes d’écoute, en vue de communiquer aux agriculteurs et aux agricultrices de bonnes informations pour leur permettre de prendre les meilleures décisions pour eux-mêmes et leurs familles. En 2021-22, nous avons touché un auditoire de 24,5 millions de personnes et collaboré avec des stations de radio de 38 pays d’Afrique subsaharienne. C’est un héritage qui mérite d’être célébré.

Remerciements : La majeure partie des informations recueillies pour ce blogue provient de la Canadian Farm Radio Forum collection dans l’Ontario Historical Education Collections.


À propos de l’auteure
Eleanor Willner-Fraser est l’assistante en communications de Radios Rurales Internationales.