Cinq éléments à prendre en compte pour la conception de projets numériques inclusifs

Alors, que pouvez-vous faire pour que vos projets afférents à la transformation numérique de l’agriculture soient inclusifs et participatifs?

À Radios Rurales Internationales, nous tentons de répondre à la question « pourquoi la radio » plus souvent que nous voulons l’admettre. Et, dans un monde où les applications, la blockchain (chaîne de blocs) et l’intelligence artificielle constituent de nouveaux moyens prometteurs pour améliorer l’agriculture, cela se comprend.

Voici comment nous travaillons souvent : des organisations viennent nous présenter une difficulté relative, par exemple, à la façon dont elles peuvent encourager les gens à utiliser plus une innovation pour la culture du maïs ou accroître la sensibilisation aux stéréotypes fondés sur le genre. Nous discutons avec les agriculteurs(trices) des informations dont ils/elles ont besoin pour résoudre cette difficulté. Puis, nous nous associons à des stations de radio bénéficiant de la confiance des agriculteurs(trices) pour réaliser une émission radiophonique interactive destinée à aider les producteurs(trices) à adopter différentes solutions face à cette difficulté.

Il s’agit de la version simple. Derrière ces étapes se cachent plusieurs années de recherches sur les caractéristiques d’une bonne émission radiophonique interactive, une expertise en techniques de communication pour le développement, des formations offertes aux radiodiffuseurs(euses) sur la façon de rendre les émissions inclusives, participatives et engageantes, et des technologies numériques qui transforment ces émissions radiophoniques en une conversation bidirectionnelle qui permet aux agriculteurs(trices) de poser des questions, participer et s’intéresser aux sujets abordés.

Malgré tout, la question subsiste : pourquoi la radio?

Très souvent, les agriculteurs(trices) d’exploitations familiales sont oubliés dans la transformation numérique de l’agriculture. Certes, ce n’est pas intentionnel, mais c’est la réalité. Nous utilisons la radio, car nous croyons qu’elle demeure le moyen le plus inclusif et accessible pour toucher les agriculteurs(trices) d’exploitations familiales d’Afrique. Quand l’alphabétisation est un défi dans les régions où les langues vernaculaires sont très utilisées et où l’accès à l’Internet, voire aux téléphones intelligents, n’est pas toujours le même pour les agriculteurs, notamment les femmes, la radio joue un rôle essentiel dans l’amélioration des conditions de vie des agriculteurs(trices) d’exploitations familiales.

Cependant, cela ne signifie pas que c’est le seul moyen.

Alors, que pouvez-vous faire pour que vos projets afférents à la transformation numérique de l’agriculture soient inclusifs et participatifs?

1. Retrouvez vos auditeurs(trices) chez eux

Cela peut sembler évident, mais l’utilisation d’applications et de programmes numériques que les gens utilisent déjà connaîtra souvent plus de succès et d’intérêt que la conception d’un système entièrement nouveau et la tentative de convaincre quelqu’un de le télécharger.

Lors d’un webinaire que nous avons organisé sur la communication pour la phase suivante du COVID-19, Andy Pattison de l’Organisation mondiale de la Santé a partagé le même point de vue :

« Un téléphone intelligent moyen contient 30 applications. Ce que j’essaie de faire, c’est d’accéder aux quatre applications que vous utilisez chaque jour, quelles qu’elles soient. Nous n’essayons pas d’entraîner les gens dans le sillage de l’OMS. Ce que nous tentons de faire, c’est de rendre accessibles nos contenus sur des canaux populaires. »

Nous ne devons pas nous laisser trop emballés par tout nouveau produit que nous créons au point d’oublier que des gens doivent le voir et l’utiliser. Souvent, il est préférable d’utiliser l’énergie que nous dépensons pour essayer de convaincre les gens de télécharger une nouvelle application pour écouter les préoccupations des auditoires ruraux, répondre à ces préoccupations et, en dernier ressort, donner la chance aux agriculteurs(trices) de prendre eux-mêmes des décisions éclairées concernant les pratiques agricoles améliorées.


« Nous n’essayons pas d’entraîner les gens dans le sillage de l’OMS. Ce que nous tentons de faire, c’est de rendre accessibles nos contenus sur des canaux populaires. »

Andy Pattison, L’Organisation mondiale de la Santé

Nous utilisons la radio, car, actuellement, c’est ce que les agriculteurs(trices) utilisent dans nos régions d’intervention. Selon les estimations, 80 à 90 pour cent de personnes ont accès à la radio en Afrique. Même quand ils/elles n’ont pas un poste radio personnel, les agriculteurs(trices) peuvent s’en procurer dans leur communauté, ou écouter en groupe. La radio est également utilisée au champ où on peut l’écouter tout en effectuant les travaux agricoles difficiles.

Par exemple, dans un de nos projets sur l’aviculture réalisés en collaboration avec la Société financière internationale en Éthiopie, notre recherche formative a révélé que plus de quatre aviculteurs(trices) sur cinq avaient accès à un poste radio, et pouvaient écouter leur station de radio régionale respective. Cependant, ce projet ciblait les aviculteurs(trices) et les agent(e)s avicoles. Parmi les agent(e)s, seuls 57 pour cent avaient accès à une radio, mais deux agent(e)s sur trois possédaient des téléphones intelligents.

Nous avons créé un projet qui s’est servi de la radio pour toucher ces aviculteurs(trices), et avons transformé par la suite les émissions en podcasts, et développer de courtes « Astuces agricoles » sous forme de fichiers audios que nous avons envoyés aux agent(e)s avicoles par Telegram et WhatsApp.

2. Concevez des projets agricoles multimédias multimodaux

Nos études révèlent que l’utilisation de procédures multiples est plus efficace lors de la conception de projets agricoles. Bien que nous utilisions la radio interactive, nous savons qu’il y a rarement mieux pour expliquer une nouvelle pratique aux agriculteurs(trices) que d’en faire soi-même la démonstration avant de leur apprendre ensuite comment le faire tout seul, et ce, même si la radio peut toucher un plus grand nombre de personnes à moindre coût. Les démonstrations à l’aide de vidéos peuvent constituer une solution intermédiaire, mais pourraient nécessiter une connexion Internet. Les bandes dessinées sont des moyens divertissants pour avoir accès à l’information, mais ce n’est pas tout le monde qui sait lire. Lorsque tous ces canaux fonctionnent ensemble pour transmettre la même information, de manières différentes, il est prouvé que le niveau d’adoption est plus élevé, et que plus de personnes sont touchées, de plusieurs façons, avec la même information.

En Tanzanie, notre projet de services météorologiques réalisé en collaboration avec le service météorologique tanzanien et le Programme alimentaire mondial aborde les informations météorologiques et agricoles de différentes manières. Les messages SMS communiquent des renseignements sur les conditions météorologiques. Les systèmes de réponse vocale interactive permettent aux agriculteurs(trices) d’appeler, d’accéder à d’autres informations et de poser des questions. Les messages vocaux transmettent des conseils agricoles liés à la météo, et les émissions radiophoniques parlent du climat en général, ainsi que des solutions agricoles adaptées à leurs régions. Nos services d’appel et d’envoi de message de textes ont suscité beaucoup d’intérêt.

Dans le cadre d’un consortium visant à améliorer les techniques de culture de légumineuses en Tanzanie financé par le CRDI, nous avons, en collaboration avec cinq organisations, examiné comment nous pourrions utiliser conjointement des émissions radiophoniques, des bandes dessinées, des parcelles de démonstration et des journées de formation pratique pour améliorer la culture des légumineuses. Au total, 508 000 d’habitant(e)s des régions rurales ont écouté une émission radiophonique au moins. Plus de 504 000 bandes dessinées ont été produites. Les journées de formation pratique ont connu la participation de 3 845 agriculteurs(trices), 32 parcelles de démonstration ont été ensemencées, 655 662 agriculteurs(trices) ont reçu des informations concernant la façon d’améliorer les techniques de culture des légumineuses et près d’un(e) agriculteur(trice) sur cinq a adopté au moins une technique améliorée.

3. Tenez compte du fossé numérique

Nul n’ignore que lorsque la numérisation survient rapidement, les populations sont souvent laissées pour compte. L’alphabétisation, l’appropriation, la capacité financière et l’aisance avec la technologie jouent toutes un rôle dans la facilitation de l’adoption de nouvelles technologies. Bien que les jeunes, et les personnes qui ont plus de moyens et d’instruction puissent aller plus loin et plus rapidement en ayant accès à de nouveaux outils, il est important que nous tenions compte de celles qui n’auraient pas les mêmes possibilités.

À l’échelle mondiale, environ 72 pour cent des ménages en milieu urbain ont l’Internet à la maison, ce qui représente près du double des ménages en milieu rural, selon l’Union internationale des télécommunications (UIT). Ces écarts de connectivité sont plus prononcés dans les pays les moins avancés, où 17 pour cent des populations rurales vivent dans des zones sans services mobiles. La situation est en train de changer rapidement, mais nous devons tenir compte de l’accessibilité aux technologies que nous proposons à mesure que nous songeons à une plus grande numérisation de nos services. De plus, ces écarts sont parfois perceptibles également entre les hommes et les femmes. En Afrique, seulement 20 pour cent de femmes utilisent l’Internet, comparativement à 37 pour cent d’hommes.


17 pour cent des populations rurales vivent dans des zones sans services mobiles

L’Union internationale des télécommunications

Nous n’avons pas de solutions faciles pour une meilleure inclusion des femmes. Ce que nous essayons de faire c’est d’intégrer l’accès dans nos projets. Nous formons des groupes d’écoute communautaires constitués uniquement de femmes, où elles peuvent discuter de ce qu’elles entendent à la radio. Parfois, nous formons ces groupes sur l’utilisation des téléphones intelligents et des crédits de téléphone, afin que leurs membres puissent appeler les stations de radio et donner leurs avis sur les émissions. Quand d’autres femmes entendent leurs voix à l’antenne, cela les encourage à faire de même. Les voix qu’on entend en appelant sur les lignes téléphoniques de nos systèmes RVI sont des voix féminines pour permettre aux gens de se sentir à l’aise quand ils appellent. Parfois, pour assurer une égalité de voix à l’antenne, nous consacrons des lignes téléphoniques séparées aux femmes, surtout quand les hommes, impatients d’appeler, encombrent la ligne régulière.

4. Assurez-vous d’intégrer des mécanismes de rétroaction (particulièrement pour les rétroactions immédiates) à votre projet

De plus en plus de projets agricoles numériques offrent des possibilités extraordinaires pour la rétroaction. En fait, c’est un avantage majeur de la numérisation de l’agriculture. Une des faiblesses des projets de développement agricole de grande envergure, c’est que souvent les progrès accomplis sont évalués deux ou trois fois seulement, à savoir : durant l’évaluation mi-parcours ou à la fin d’un projet. Cela ne donne presque pas beaucoup de temps pour rectifier le tir.

« Sans dialogue, il n’y a pas de communication, alors que sans communication une véritable éducation est impossible, » déclare Paolo Freire dans Pedagogy of the Oppressed. C’est le fondement de la communication participative. Si nous voulons améliorer l’agriculture, nous devons vraiment écouter les agriculteurs(trices), et leur permettre de s’approprier les solutions que nous proposons.


« Sans dialogue, il n’y a pas de communication, alors que sans communication une véritable éducation est impossible. »

Paolo Freire

Dans notre travail, par exemple, cela signifie que les émissions radiophoniques en soi ne suffisent pas. Nous utilisons notre plateforme Uliza, une suite d’outils numériques qui permet aux stations de radio d’interagir avec les auditeurs(trices) par le biais de systèmes RVI, de sondages et de téléphones cellulaires. Cela permet aux agriculteurs(trices) d’appeler pour poser des questions et d’obtenir littéralement des réponses lors de l’émission suivante. Si nous réalisons des sondages, nous pouvons savoir si les producteurs(trices) apprennent ce dont il a été question dans une émission, et si nous devons changer d’approche.

En Éthiopie, nous avons diffusé une émission sur le millet en collaboration avec la Bill & Melinda Gates Foundation. Lorsque des appels furent reçus sur les lignes réservées aux tribunes téléphoniques, et dont quelques-uns se rapportaient à l’éventualité d’une nouvelle sécheresse, nous avons, avec l’aide de la station de radio, modifié tout le projet et les émissions radiophoniques pour parler de ce qui était vraiment nécessaire, à savoir : des informations sur la façon de se préparer pour faire face à une sécheresse, et ce, en quelques semaines.

5. Travaillez avec les acteurs(trices) locaux

À Radios Rurales Internationales, nous avons peut-être une expertise en matière d’interactivité et de conception d’émissions, mais nous ne sommes pas spécialistes des diverses communautés où nous intervenons. Ce qui fonctionne pour une communauté en Tanzanie ne fait probablement pas l’affaire d’une communauté au Mali. Même si l’intervention agricole peut être la même d’un pays à l’autre, nous ne pouvons pas produire le même contenu et nous attendre à ce que des agriculteurs(trices) des deux communautés souhaitent tous le tester. Non seulement les langues diffèrent, mais les cultures, les religions, le savoir-faire local, l’utilisation du téléphone cellulaire ou de l’Internet et même des styles populaires de divertissement peuvent varier.

En outre, quelles raisons un(e) agriculteur(trice) aurait de faire confiance à une intervention destinée à un pays totalement différent, et qui n’est pas conçues dans sa langue?

C’est pourquoi nous confions aux radiodiffuseurs(euses) le soin de choisir le contenu, rencontrer les agriculteurs(trices) et diffuser leurs émissions. Ce sont eux/elles qui connaissent bien leurs communautés et leurs auditoires, et leur travail consiste fondamentalement à trouver des moyens pour les intéresser. Ils/elles ont déjà des relations, et bénéficient de surcroît d’une certaine confiance de la part des communautés qu’ils/elles servent. Les radiodiffuseurs(euses) s’assurent que les projets conviennent à la culture et aux réalités locales, et poussent parfois même la discussion plus loin que nous pourrions l’imaginer. Travailler avec, et former les acteurs(trices) locaux à diriger des programmes numériques signifie également que l’expertise reste au sein des communautés, ce qui assura une pérennisation des avantages pour les années suivantes.

Points saillants

La transformation numérique de l’agriculture offre d’innombrables possibilités de toucher un plus grand de personnes avec de meilleurs outils pour améliorer leurs champs et, par-dessus tout, leurs communautés. Une chose doit cependant être claire : nous ne devons pas oublier les plus vulnérables dans notre enthousiasme. En plaçant les populations rurales, et les agriculteurs(trices) mal desservis, notamment les femmes, au cœur de notre travail, nous pouvons être certains que tout le monde, et pas seulement les plus nantis, sera servi équitablement, et que nous pouvons aller de l’avant ensemble.


This blog is part of the GFAR Partners in Action series, celebrating the achievements of GFAR’s diverse network of partners, including Farm Radio International, who are working together to shape a new, sustainable future for agriculture and food.